samedi 26 avril 2008

RAÏATEA - ÎLES-SOUS-LE-VENT.

















L’île, disais-je, est l’outrance du village. je le disais il y a dix ans, lorsque j’habitais à Raïatea. Je pensais alors aux miasmes délétères des jalousies, des envies, des commérages.

Il est bien vrai, et cela perdure. Mais, en mille neuf cent quatre vingt quatorze quelques enseignements sont à tirer, les éclairages étant sans doute plus crus pour le passant que je suis devenu.

Au premier abord l’île ne semble pas abîmée. Elle paraîtrait plus belle, même, plus verte, plus fleurie, face à un horizon sur lequel se détachent, superbes, les îles voisines : Huahiné, Tahaa, Bora-Bora. Évidemment, l’affligeant spectacle offert par l’agglomération d’Uturoa ne peut que surprendre : antiques baraques que l’on tarde démolir, façades de béton écaillé, toitures rouillées, vitrines surchargées de bric à brac, bâtiments publics jouant les cathédrales. L’hôpital est tout neuf ... Il est vieux pourtant.








Les rues, les routes sont plutôt devenues meilleures. Il n’y a guère d’embarras de circulation ... Heureux habitants !

Le lagon qui enchâsse tout à la fois Raïatea et Tahaa a toujours des couleurs somptueuses. Le coup d’oeil, à lui seul, mérite le voyage ! Lequel voyage est très cher d’ailleurs !

Il y a un lycée d’enseignement général. On y fabrique des bacs G qui prédisposent en principe à devenir secrétaire ou dactylo. Mais les jeunes qui en sont titulaires ne voudront devenir ni secrétaires ni dactylos pour la plupart d’entre eux. Ils sont à peu près assurés de devenir institutrices et instituteurs.

Splendeur des structures “adaptées”, ils deviendront fonctionnaires d’état. Une institutrice fait vivre, ici, une tripotée de gosses à baladeurs et à V.T.T.. Son époux, lui, a souvent pour occupation principale de boire de la bière. On engraisse à force de sucres et de féculents. Personne à l’entour ne serait capable de me dire si l’individu que j’ai rencontré dans l’aéroport, qui écartait les bras et les jambes, bonne mine par ailleurs, allait pouvoir s’asseoir dans l’avion. Combien lui fallait-il de sièges ?






De part et d’autres d’Uturoa, tout le bord de mer est colonisé par les enseignants des lycées et collèges. Les maisons sont louées par des commerçants chinois ou par des Tahitiens aisés. Les locataires se succèdent tous les trois ans ou tous les six ans, selon la longueur des contrats des enseignants et selon la manière dont l’épouse du fonctionnaire en détachement aura su occuper son ennui.

Merveilleux pays ! C’est un Territoire français , mais il y a des Français qui le sont d’une autre manière que les autres. Pour bénéficier des gros salaires, des indemnités et des primes, tout le monde est Français. Tout le monde se voit offrir tous les trois ans un voyage en métropole pour un congé “bonifié”, et cela qu’il s’agisse d’un expatrié ou d’un “natif”. Beaucoup, du reste, préfèrent ne pas en bénéficier : Les avantages de l’’indexation sont supérieurs au coût du voyage ! Mais lorsqu’il s’agit de vie sociale, il y a les citoyens d’ici et les citoyens d’ailleurs. Il n’y a pas un élu d’origine métropolitaine dans les assemblées locales. C’est sans doute ce que recouvre la notion “d’autonomie”. Du reste, les européens se satisfont très bien de ce statut : Il permet de railler sans frais !






Il est vrai que la règle n’en fait que des passants. Ils ne demeurent que le temps nécessaire à l’achat d’un appartement en métropole, au moment du retour. Pour l’heure, ils filent sur le lagon en canots avec des moteurs hors-bord et vont à la pèche à l’espadon. Pour les femmes, si elles ne supportent pas les sorties en mer, il y a la bronzette ou les papotages ... Souvent les deux !

Quelques européens, en se mariant ici ont gagné certains privilèges. Ils en ont conscience et se taisent. Ce ne sont pas les plus flagorneurs.
Quant aux Tahitiens, ils en ont tellement vu passer, des Européens !

On évoquait autrefois les miasmes et les fièvres tropicales. On en retrouve encore les effets exécrables : il n’est question ici que de rivalités, de corruption, de rancœurs.

À côté du Lycée d’enseignement général il y un Lycée d’Enseignement professionnel, deux collèges, des établissements d’enseignement privé, des écoles primaires et maternelles. Cela fait beaucoup de fonctionnaires qui s’ignorent et se toisent. C’est là où naissent les histoires, sur fond d’ennui et d’envie. S’y ajoutent les politiques ...





On n’en finirait pas d’évoquer les promotions soudaines et les carrières brisées. Pour l’heure Uturoa bruit de rumeurs de poursuites devant le Tribunal Administratif et de requêtes d’avocats. Ce n’est pas la première fois.

Ici, par ailleurs, on se gave de télévision, on s’empiffre de sucreries, on boit de la bière ou du Coca-Cola, on mâchouille des “Twisties”. j’ai vu des enfants partir à l’école avec d’énormes sandwichs ... garnis avec des nouilles et du “Ketchup” !

Pourtant, Raïatea est splendide, incomparable.
Il faut se méfier des “pensions” approximatives tenues par des Européens : Leurs propriétaires ne rêvent que de faire percer les montagnes, tracer des routes, bâtir, installer des machines à sous por attirer les touristes ...

Les bulldozers creusent des terrasses à flanc de collines. Dans chaque terrasse la pluie creuse des sillons. Elle entraîne les boues rouges jusque dans le lagon.

Les adolescents fument du haschich que l’on nomme pakalolo, consomment parfois des champignons hallucinogènes.






Au sommet du mont Téméhani s’épanouit la fleur du tiaré apétahi, qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Mais pendant combien de temps fleurira-t-elle alors qu’on n’en prend aucun soin.

C’est sous la surface que Raïatea est abîmée, sous la ligne de flottaison. Sous la surface des êtres et des flots. Le lagon a toujours ses émeraudes et ses saphirs. Il est bordé de blanc. Un nombre de plus en plus important de voiliers le sillonnent. Mais sous la surface, les coraux sont morts, ternes, gris, bousculés, excavés. L’eau est embrumée d’une suspension qui est une sorte de poussière. Les émaux sont éteints. Les poissons si merveilleux sont devenus rares. Par quelle folie les hommes ont-ils détruit les fonds pour en tirer le calcaire dont ils se sont servi pour faire le revêtement des routes ?

Je le savais. C’était déjà ainsi il y a dix ans ... J’avais compté sur le pouvoir régénérateur de la mer et sur une sagesse revenue ... On ne peut pas tout régénérer, sans doute !

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