dimanche 15 juin 2008

TAHITI - CARNET


TAHITI-CARNET.MICHEL-SAVATIER · Article



CE QUE NOUS VOUS PROPOSONS, JUSTEMENT, CE N'EST PAS CETTE IMAGE DE TAHITI ET DE SES ÎLES.

NON, VOUS TROUVEREZ ICI LES "CARNETS" DE QUELQU'UN QUI A PASSÉ ONZE ANS DANS LE PACIFIQUE. CE SONT DES NOTES PRISES AU JOUR LE JOUR, ACIDES PARFOIS (COMME LE JUS DU CITRON VERT), SOUVENT ÉMERVEILLÉES. CE SONT, AINSI DISENT LES JOURNALISTES, DES "BILLETS D'HUMEUR".
LES CHOSES RAPPORTÉES TOUCHENT AU QUOTIDIEN DES GENS ET DE LA SOCIÉTÉ.
IL NE S'AGIT EN AUCUN CAS D'UNE VUE EXHAUSTIVE MAIS IL ARRIVE PARFOIS QUE TOUT NE SOIT PAS AUSSI PARADISIAQUE QUE L'A VOULU MONSIEUR DE BOUGAINVILLE ...
QUE L'ON ME PARDONNE SI MA PLUME DÉROGE À LA COUTUME PARFOIS.

samedi 14 juin 2008

LE PRINCIPE



( Cliquer sur les photos pour les agrandir ).


Il était.

Taaroa était son nom.

Il se tenait dans le vide : Point de terre,
point de ciel, point d’homme.

Taaroa appelle aux quatre coins de l’Univers.

Rien ne répond.

Seul existant, il se change en Univers.

Taaroa est la clarté.

Il est le germe.

Il est la base.

Il est l’incorruptible.

L’Univers n’est que la coquille de Taaroa.

C’est lui qui le met en mouvement et en fait l’harmonie.

LES BAINS DE LA FONTAINE VAÏMA








LE CULBUTO

Le ludion capricieux ...
Mais le culbuto obstiné !

Poussah de celluloïd, rouge et jaune, au ventre bien rond.

Le génie des mille et une nuits ?
On le sort du coffre à jouets. On le pose. Il se tient debout.
Il est cul-de-jatte.
Le mien portait turban. Il avait été blessé en je ne sais quelle bataille.
Dans le dos, une déchirure béante montrait un intérieur vide et rose.

Le culbuto ... Inclinez-le de quelque manière, il revient à la verticale, imperturbablement.
On devine le lest de plomb.






LE BAIN

Le poussah de celluloïd pose, rebondi, sur son ventre lesté. Comment donc l’appelait-on ?
C’était au temps de notre enfance.



Ici, la fontaine jaillit à gros bouillons des racines du basalte, chaude.
Vaïma, fontaine sacrée, fontaine royale. Ces messieurs et ces dames de la cour y venaient aux bains, dit-on, du temps de la Reine Pomaré.


Derrière les fougères, deux poussahs semblent flotter, posés sur le ventre, et le nombril à l’air. Ils prennent les eaux et soignent leurs maux.
Ils bavardent.
Chacun tient une bouteille de bière à la main.
Deux voitures, garées au bord de la route ... Et dans chaque voiture, une glacière pour les réserves.

Les poussahs, si on les inclinait ... Que nul n’en doute, ils sont lestés. On peut gager qu’ils reviendraient à la verticale ...

Sans laisser tomber une goutte de bière !

jeudi 12 juin 2008

LA MAMMA ... SILHOUETTE








Elle marche. Elle a les bras et les jambes écartées. Elle s’assied à croupetons. Elle ramène le bas de sa robe entre ses cuisses, largement ouvertes.

Elle sort de son giron un peu de tabac brun. Elle roule une cigarette très mince. Elle tête la cigarette, puis elle souffle un filet de fumée vers le sol.

La masse de ses membres dépasse tout ce qui peut s’imaginer. Ses mamelles libres reposent sur ses genoux.

La voici qui se relève. Elle est drapée de rose acidulé, avec de larges fleurs, roses elles-aussi. Ses hanches semblent montées sur bielles tant elles roulent. Pour accentuer le mouvement, s’il se pouvait, la couturière a prévu de larges volants. Autour de la tête, des fougères lui font une couronne.

Avez-vous croisé ses yeux ? Ils sont vifs, doux et bons.

C’est la Mamma !

mercredi 11 juin 2008

LE FARE LOTO









Sans contestation, la mairie est splendide, balustres et tuiles venissées, cernée d’un parc, lui-même fermé de grilles.

-”C’était mieux autrefois; Au moins les enfants pouvaient y aller jouer !”

Ça, c’est l’avis du Chinois qui tient boutique en face.

Quelques langues aiguisées parlent de millions et de milliards évaporés. Il ne faut pas les écouter;

Non loin de là, il y a le marché couvert, sur deux niveaux : Rez de chaussée : fleurs, fruits, légumes, viandes et poissons. Premier étage : paréos, coquillages, bois sculptés ... Propre, impeccable, tout sourire.

De nouveaux immeubles, encore assez peu nombreux. Le plus important, c’est évidemment, arborant balises rouges et bleues, le Faré-Loto !

Une femme accroupie au pied d’un mur, jupe ramassée entre les cuisses, gratte de l’ongle du pouce. Quelque part, une radio beugle sur l’air des lampions.



-” Tu gagnes au Millionnaire ... À Paris, tu passes à la télé ! ” Espoir, ou désespoir ? ... Pieds nus aux orteils écartés, savates traînées.

les “Clubs Bâtisseurs” .... (Qu’est-ce qu’ils bâtissent ?) _ Ils ne font plus leurs affaires. Responsables de la gestion des stades et des associations sportives, leurs tombolas traditionnelles ne font plus recette depuis l’arrivée du Loto !

-Grève !

Dimanche prochain, les stades et les salles de sport resteront fermées.

À moins que ...

À moins que le Président, qui est à Paris, ne revienne avec un accord : Les “Clubs Bâtisseurs” exigent trente pour cent sur les ventes des tickets à gratter et sur celles du Loto !

mardi 10 juin 2008

CROQUIS DU QUOTIDIEN









Au long du quai un bateau danse à peine. C’est le soir, instant précaire ...

Longues cannes de bambous, en gerbes sur le roof.

Une bonite, pendue la tête en bas à la ranche d’un arbre voisin. Une camionnette arrêtée : Jambes ballantes, les pêcheurs sont assis. Un ventre se distingue : rond, entièrement tatoué de signess maohi. Une caisse presque vide ... Des bouteilles en farandole, vides, qui partent à la dérive doucement ...

Le soleil chute derrière l’ombre de l’île voisine ...
Irisations encore, à la surface de la mer, dans les traces de gaz-oïl ...

Il reste juste assez de lumière pour pouvoir compter les goulots qui se dandinent ...

DES DIEUX




Étranges et lointains ... Venus d'ailleurs !

Cinq jeunes hommes, sur la largeur du trottoir, grands, minces, bien découplés.

Leurs cheveux sont noués bas sur la nuque.


Des dieux, descendus de la barque du soleil !


Leurs regards semblent passer à travers ma personne.

Aucun ne parle.

Leurs jambes sont tatouées de bleu du haut en bas. Ils ont des signes sur les bras.

Ils vont.

Que faire ? ... Sinon descendre du trottoir !

O ! Dieux issus d'entre les pages du "Journal des Voyages" !

dimanche 8 juin 2008

LES DEUX ROUES


Sur le bas-côté, on trouve la dépouille d'un jeune dieu.

Il a une plaie au cou.

Il est couché sur le dos. Il est casqué. Ses bras sont écartés, en croix.

Il repose au-milieu des buissons.

Tout près coule une fontaine.


Le pouls ne bat plus mais le poignet est tiède encore.

On cherche la moto ... Elle a déjà été volée !

LA ROUTE













Monsieur de Bougainville, avec sa perruque sur la tête, bien poudrée, débarqua à Tahiti en 1768. Il n’y resta que dix jours. Cela lui suffit pour publier un livre dithyrambique. Je ne pense pas qu’il eût le temps de faire le tour de l’île. L’eût-il fait à pied ou à dos d’homme ? ... La reine de Tahiti ne se déplaçait que par ce moyen là. Il lui eût fallu combien de jours ?

Mon arrière-grand-père, qui se prénommait Ludovic, était médecin et botaniste. Il fréquentait la cour et trouvait qu’on y faisait la “bringue” d’une façon incomparable. Il demeura à Tahiti beaucoup plus longtemps que Monsieur de Bougainville. Il emprunta à l’un des habitants un cheval et un cabriolet. Il fit, lui, le tour de l’île. Ce n’est pas difficile, il n’y a qu’une seule route, on ne risque pas de s’égarer. C’était vers 1880 je crois. Il fit étape à Taravao et mit deux jours pour accomplir sa promenade, admirant les paysages et herborisant au passage.

Moi, en 1962, lors de mon premier passage à Tahiti, j’avais loué un “pot de yaourt” et j’avais sacrifié au rite du tour de l’île, m’émerveillant devant les haies d’hibiscus, les fruits de l’arbre à pain, les larges feuilles des taros. Je m’émerveillais aussi des rivières qui coulent sur des galets noirs, des lavandières qui frottaient le linge sur les rochers et je m’émerveillais de leurs éclats de rire. Il me fallut quelques heures pour accomplir mon tour.

Il n’y a toujours qu’une route, peut-on dire, à laquelle on a ajouté une “traversière”. Il n’y a plus de chevaux, si ce n’est sur le champ de courses de Pirae. Il n’y a plus de cabriolets si ce n’est des cabriolets pétaradants.


Il y a peu de cabriolets, à dire le vrai : la mode est plutôt aux énormes “paquebots” tous-terrains rutilants de chromes et de nickels. Plus ils sont gros, plus on est fier !

-” Hi, yah ! Tu as vu ma bagnole ? - Rien que les pneus, ils coûtent plus d’un million ! Regarde la largeur !”

Chaque cargo qui accoste dans le port, qu’il soit français, japonais ou coréen, apporte sa cargaison de voitures neuves. Il en repart bien quelques unes dans les îles environnantes, mais le plus grand nombre demeure à Tahiti.




Alors, pensez ... Tout un peuple de fonctionnaires, dont la plupart travaillent à Papeete ... Ils habitent presque tous hors de la ville, et particulièrement sur la côte qui possède des plages, vers Punauia, Paea et papara. Leurs bureaux ouvrent tous à la même heure, vers sept heures et demie, et les écoles ouvrent leurs portes en même temps, donc tout le monde prend la route en même temps. File indienne, embouteillages, queue-leu-leu, ralentissements, accidents ... les deux roues qui tentent de se faufiler ...
Si vous voulez arriver à sept heures et demie à votre bureau, il vous faut partir de chez vous à cinq heures et demie. Vous aurez peut-être une chance d’être à l’heure, à moins que ...


Pour en être certain, je vous conseille, si vous habitez au-delà de Punauia, de partir de chez vous, carrément, vers cinq heures du matin. Il n’y aura personne sur la route. Vous arriverez avec une avance confortable, ce qui vous laissera le temps de préparer un café !

-” Hi, Yah ! Tu as vu ma “bagnole”. Rien que les pneus, ils valent plus d’un million. Tu as vu leur largeur !”





J’ai imaginé une petite histoire, que l’on pourrait raconter aux petits enfants. Elle parlerait d’une île, une petite île au-milieu de l’océan. Ce serait une île jolie, avec de longues plages blanches, blondes ou noires, des rochers de toutes les couleurs, des fleurs et des arbres aux feuilles multiformes, des oiseaux de toutes les couleurs et des habitants qui auraient toujours le sourire et qui chanteraient sans cesse, accompagnés du chant des cascades. On s’y promènerait en pirogue à balancier sur un lagon versicolore, en mangeant des fruits délicieux. Il n’y aurait qu’un chemin pour faire le tour de l’île, mais ce ne serait pas grave car il n’y aurait pas de voitures.

Et puis un jour, quelqu’un aurait acheté une automobile, ce qui aurait fait envie aux autres. Bientôt il y aurait eu tellement d’automobiles qu’elles seraient obligées de tourner en rond, à la queue-leu-leu, et cela ferait comme un manège pour les petits enfants, un manège comme il en vient pour les fêtes, sur la place des villages. Les automobiles ne pourraientt même plus s’arrêter. On serait obligé d’installer des feux, des feux rouges, des feux verts, des feux orange. Il y aurait des moments réservés pour avancer, d’autres pour reculer, d’autres enfin pour s’arrêter.

-"Attrapez la queue du Mickey !"


Et comme on n’obéirait pas toujours aux feux, on serait obligé de construire un tribunal pour juger les contrevenants et une prison pour punir ceux qui le mériteraient. L’île, l’île jolie deviendrait un enfer ! ... Jusqu’à ce qu’on interdise les automobiles ... On parlerait d’installer un petit train !

vendredi 6 juin 2008

LES CULTES









Le Temple de Paofaï reluit comme une pièce montée.

Un peu trop de peinture sans doute. On croirait qu’on l’a importé tout construit d’un crémeux village du Devon.

Balustres blancs et clocher rouge. Le carillon tinte clair.

Il fait déjà nuit. Par les baies ouvertes , on aperçoit des lambris vernis. Les hommes sont à droite, tête nue. À droite, les femmes portent de blanches capelines.

“SILENCE-CULTE” dit la pancarte.

En chaire parle un pasteur, veston croisé, cravate noire.

Mais c’est l’endroit le plus bruyant de la ville : route devant, route derrière ... toutes deux à grande circulation. Larges pneus qui crissent sur l’asphalte. Échappements pétaradants, hurlement des motos dans les embouteillages.




“SILENCE-CULTE”.

Et pour que nul n’en ignore, les fidèles ont bouché les rues adjacentes, obturées, remplies, garnies par leurs voitures.

À l’intérieur du temple, on chante en choeur. On chante les hyménées, à pleins poumons.

jeudi 5 juin 2008

A LA PÊCHE "AU GROS"











Des histoires de pêche, vous pensez si l’on en entend, en Polynésie ! Les Tahitiens naissent avec des harpons à la main ! Les Européens qui paient fort cher et ont de gros bateaux étincelant de chromes et de nickel ne font qu’essayer d’imiter les Tahitiens. Quand ils y parviennent, ils arborent un pavillon pour le faire savoir. Ils ont des pavillons différents selon qu’ils ont pêché un marlin, une daurade, un tazar ou un thon ... Et les pavillons claquent au vent quand le bateau rentre et passe devant les pontons de l’hôtel !

Les Tahitiens sont souvent plus discrets, mais ils savent les bons coins, ils connaissent les courants, les récifs et les vents. J’ai vu revenir des bateaux de contreplaqué avec des marlins bleus de cinq cents kilos, des thons jaunes de quatre vingt dix et des tazars de vingt cinq. Tous pêchent à la longue traîne avec un leurre en matière plastique qui ressemble souvent à une petite pieuvre. Il faut parfois plusieurs heures pour sortir un gros poisson de l’eau ... Quand il ne vous arrive pas ce qui m’est arrivé, c’est à dire que, tout d’un coup, la prise qui se défendait et qui me semblait si lourde au bout du fil de nylon, tout d’un coup, elle sortait de l’eau sans que je fasse aucun effort.




Je ne tardai pas à comprendre lorsque je vis remonter sur le pont du bateau ... La tête d’un thon, et
la tête seulement : Un requin avait happé le reste !

Les Tahitiens ont des bateaux spéciaux pour chasser les poissons-volants ou les daurades coryphènes. Ce sont des bateaux légers, équipés de moteurs hors-bord très puissants. On les appelle des “poti-marara”, les marara étant les poissons-volants. Ces bateaux se pilotent avec un manche à balai, comme des avions. Une sorte de bac est prévue à l’avant, le pilote s’y met. Il reste debout. Il est en sécurité pour ne pas tomber à la mer. Le “poti-marara” est léger, rapide et très manoeuvrable. Il s’agit, de nuit, de poursuivre le poisson qui fuit à la surface et de le harponner quand on le voit briller dansla lumière. C’est le pilote lui-même qui tient et qui lance le harpon, c’est pourquoi il a besoin de s’encastrer dans l’étroit logement prévu à cet effet. J’ai rarement assisté à ce genre de pêche mais, croyez-moi, j’ai vu les prises. Elles étaient nombreuses ! Il faut être un peu accrobate pour réussir ... Je ne m’y suis pas risqué.

J’ai dit que les Tahitiens devaient naître avec un harpon à la main ... Il faut bien cela pour se tenir, dans l’eau jusqu’à la ceinture, debout sur un récif battu par les vagues, en attendant qu’une carangue passe.



La détente est alors immédiate, et il est rare que le pêcheur manque son coup !

Un jour, je longeais le récif, du côté de la haute mer. C’est souvent là qu’on prend du poisson à la traîne. La mer était grosse. Les déferlantes roulaient sur le récif et se brisaient en éclaboussures étincelantes. Le son de leur déferlement était continu et puissant. C’était à Raïatea, devent la passe de Miri-Miri. J’aperçois derrière un rouleau, un homme qui faisait de grands signes des deux bras. Je m’approche prudemment, car le récif est proche. Les signaux continuaient, incompréhensibles. Tout à coup, là, juste devant nous ... Un bâton brisé qui émerge, tel un périscope de sous-marin et qui avance ... Intrigué, je saute à la mer, équipé de mon masque et de mon tuba. Alors je vois : Je vois une quantité de requins, des petits et des gros, qui font une ronde autour d’une carangue blessée, une grosse carangue, comme je n’en avais jamais vu au préalable ! Les requins préparaient l’hallali por se ruer sur leur proie qui saignait. Dans le dos de la carangue était planté un harpon, un harpon brisé, solidement enfoncé. C’était le manche du harpon brisé que nous avions vu avancer , vertical à la surace la mer. Le pêcheur nous le montrait.





Trop de requins ... Je les respecte infiniment ! Je sors de l’eau à la hâte et je grimpe dans mon bateau. Moteur en avant-lente ... J’approche. Je saisis le manche du harpon. Je sors la carangue, aidé par mon coéquipier ... Elle pesait cinquante cinq kilos !

Mais là où les Tahitiens sont époustouflants, c’est quand ils vous accompagnent à la pêche sous-marine. En apnée, ils sont capable de rester sous l’eau, allongés sur le fond et ... d’attendre là que le poisson qu’ils convoitent soit à leur portée. Leurs fusils sont rudimentaires mais, pendant qu’il vous a fallu, trois ou quatre fois, remonter à la surface pour respirer, ils ont visé quatre ou cinq poissons successivement, les ont tous atteints et remontent enfin à la surface avec tous ces poissons enfilés sur leur flêche comme sur une brochette ! Vous avez, vous, senti pendant ce temps-là, quatre ou cinq fois vos poumons prêts à exploser !

Il y aurait tant à raconter, à propos des pêcheurs tahitiens !

Mais écoutez plutôt ce pêcheur européen, client de l’hôtel voisin. Il a le dos rouge comme une crevette, le ventre écarlate mais rebondi :

“Ah ! si vous aviez été là hier ! j’en ai pêché un Grand Comme ça ! “

mercredi 4 juin 2008

DEUX VIEUX ET UN CHIEN






Des atolls, il y en a qui sont tout petits. Vus d’avion, on dirait qu’un ange a laissé tomber une alliance sur l’eau. L’île Maria, quand on va vers l’archipel des Gambier, est un anneau parfait. Son lagon est versicolore.

De temps à autre la goëlette mouille son ancre près de chaque atoll pour embarquer la récolte de coprah. Si l’océan est trop profond pour qu’on puisse y mouiller une ancre, le bateau fait des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes font le va et vient. Mais sur ces petits atolls, il n’y a pas de résidents permanents. On n’y vient que pour la récolte.

L’atoll dont je vais vous parler est tout petit, mais il est habité toute l’année et ceci depuis longtemps. Il y a eu deux familles, installées ici depuis des lustres et des lustres. L’une demeurait à l’extrémité sud de l’atoll, l’autre à l’extrémité nord. Je ne connais pas l’histoire de ces deux familles, toujours est-il que le temps a passé ... Il ne reste plus, au sud, qu’une vieille seule, bien vieille. Au nord, il ne reste plus qu’un vieillard, bien vieux.




Il faudrait connaître leur histoire pour savoir pourquoi ils sont fâchés : Ils ne se parlent plus, ils ne se voient plus, ils ne se rencontrent plus ... Et ce n’est pas facile sur un atoll si petit ... Il faut y mettre du sien!

Bien entendu, sur l’île, il n’y a pas d’eau, pas plus que sur toutes les îles ... Il y a une ancienne citerne en béton, que les hommes de La Légion Étrangère ont construite il y a longtemps ... Du temps où les deux familles n’hésitaient pas à se rencontrer. Cette citerne collecte les eaux de pluie, qui ruissellent sur son toit de tôles. Il manque d’ailleurs des tôles : Elles ont rouillé et puis le vent les a plus ou moins arrachées, un jour où le vent d’un cyclone a soufflé.

Le vieux, la vieille, vont jusqu’à la citerne, quand ils ne peuvent pas faire autrement. Mais alors, qu’il s’agisse du vieux, qu’il s’agisse de la vieille, on emmène le chien avec soi. Car il y a un chien sur l’île. Un grand diable de chien efflanqué. C’est le seul qui n’a pas été mangé. Il n’a pas été mangé parce qu’il rend des services : Quand on va jusqu’à la citerne, on emmène le chien. Il fréquente indifféremment l’un et l’autre des habitants et , semble-t-il, il n’a rien à faire de leurs vieilles querelles. Mais quand on va à la citerne ... Si “l’autre”y est déjà, le chien se met à japper. On sait alors que ce n’est pas le moment d’y aller !




Quant à sa nourriture ... Quand il ne pêche pas assez de poissons sur le récif, ( car les chiens savent pêcher!) il fait le chemin entre le nord et le sud, le chemin qui est sa trace et n’est rien d’autre que sa trace. C’est lui qui assure la seule liaison entre la vieille et le vieux ! Et cela fait des années que cela dure ! Ne me demandez pas le nom de ce petit atoll, je l’ai oublié. Je le regrette.

Les deux vieillards sont-ils toujours là ? Et le chien ?

mardi 3 juin 2008

INVESTISSEMENTS










À Bora-Bora, l’île la plus vantée de Polynésie, l’hôtellerie commence à souffrir, paraît-il.

Pourtant, l’île a des atouts indéniables :

Elle est fréquentée par les Américains, qui l’ont occupée pendant la dernière guerre puisqu’ils avaient là une base-arrière pour leurs opérations dans le Pacifique. Ils se souviennent de Bora-Bora comme d’un séjour idilique, faisant contraste avec les dures batailles des îles occupées par les Japonais ! Ce sont les Américains qui ont construit ici la première piste pour avions gros-porteurs. Les avions de ligne ont été tenus de se poser à Bora-Bora pendant de longues années. On montait ensuite dans un hydravion pour gagner Papeete ... L’île est à portée de leurs dollars ... Encore que ... en ce moment ! Mais les pavillons en bambou, couverts de feuilles de pandanus ont bien de l’attrait, d’autant qu’ils sont construits sur pilotis, dans un lagon qui est une merveille ! La montagne est monobloc : un piton basaltique reconnaissable entre tous et qui a pour nom Otemanu, ce qui signifie “l’oiseau”. Il fait assez chaud, pendant toute l’année, pour que les plages soient plus fréquentées que la montagne.


L’île est fleurie. On vous fleurira aussi. On y a tourné des films célèbres, dont “Hurrican”, qui en a fait l’éloge. On a conservé une partie du décor devenu illustre.

Les Japonais fréquentent beaucoup Bora-Bora ... Faut-il dire” fréquentaient” beaucoup ? Des lignes aériennes directes reliant la Polynésie à l’Empire du Soleil levant assurent le remplissage des hôtels. Les japonais viennent beaucoup à Bora-Bora en voyage de noces. Mais qu’en est-il, auourd’hui, en ce qui concerne le “remplissage” ?

Une loi, adoptée par le Parlement français a créé des conditions fiscales d’exception pour les investissements dans les Territoires et les Départements d’Outre-Mer. Cette loi a surtout favorisé l’extension des flotilles de bateaux, à voiles ou à moteur, ce qui a créé des emplois, bien sûr ... Encore que ces flotilles soient très loin d’être utilisées à plein temps !

Les investissements immobiliers ont été également défiscalisés, ce qui a permis d’accroître les possibilités d’accueil de l’hötellerie Polynésienne. Les investisseurs ont tout de suite vu les bonnes affaires et l’on en connaît auxquels ces investissements ont permis de ne payer aucun impôt sur le revenu. On commence à s’en préoccuper ...



Mais on pourrait parler, même, d’un afflux d’abus tel que bien des investissements ont été défiscalisés alors même que leur réalisation est demeurée tout ce qu’il y a de plus virtuelle.

Est-ce la raison pour laquelle, il y a quelques années, on pouvait voir à Bora-Bora, tout près du débarcadère, sur une pente de la colline, dominant les bleus, les violets et les verts du lagon, des traces de gigantesques travaux demeurés inachevés, abandonnés? De larges saignées dans la tere rouge, des terrasses comme autant de blessures non cicatrisées, des bungalows, dont certains presque terminés, les rails d‘un funiculaire pour éviter aux pensionnaires de l’hôtel d’avoir à gravir les pentes ... Je crois bien, même que les installations pour motoriser ce funiculaire avaient été construites ...

Tous ces travaux sont restés en plan. C’est là, pourtant, que devaient s’élever les installations d’un grand hôtel de luxe de la chaîne Hyatt. En a-t-on fait quelque chose depuis mon départ ?

Peut-être, après tout, cette construction virtuelle n’était-elle qu’une opération de défiscalisation ? Ou bien peut-être la chaîne hôtelière en question avait-elle senti qu’à force de construire des hôtel sur la même île, on pouvait arriver à saturation ?




... D’autant que le prix du séjour s’ajoutant à celui de la pension !



D’un autre côté, le touriste ayant fait un séjour d’une semaine à Bora-Bora, au-dessus du “Plus-Beau- Lagon-Du-Monde” s’est fait un superbe souvenir qui restera l’un des plus beaux de sa vie !

... À tous les points de vue !

VU SUR LA PLACE TARAOÏ










Un héros anticolonialiste, autonomiste, et même, peut-être, indépendantiste, trône sur un piédestal devant l’Assemblée Territoriale.

Naguère, il fut emprisonné, jugé, condamné, exilé. Lui, maintenant, il s’en moque éperduement, parce qu’il est mort depuis pas mal de temps ...

Il n’y a ici que son buste. On lui a accroché autour du cou une pancarte qui proclame son innocence. C’est sa réhabilitation que l’on demande.

Près de là un quidam est assis sur une chaise. Il a le ventre nu et bien rond.Il s’accoude à une table de camping. Un grand parasol bleu lui fait l’ombre.

“GRÈVE DE LA FAIM”

C’est dimanche aujourd’hui. Aucun passant. Il est près de dix heures, tout le monde est à la plage. Plus loin, un second parasol, rouge celui-là. Il est installé sous un arbre : Le gréviste déménagera quand il fera trop chaud.




Un grand escogriffe en paréo, les cheveux ébouriffés,les épaules et le torse pissants, sonne de la conque à intervalles réguliers : c’est le cri des Polynésiens. On l’entend de très loin, un peu comme une corne de brume. Une alarme et tout à la fois une lamentation ...

Le héros, sur son piédestal, tout cela, il s’en moque : Cela ne lui fera pousser ni des bras, ni des jambes ... Une chienne passe, rousse, traînant ses mamelles dans la poussière ...

dimanche 1 juin 2008

UN CHINOIS À TAHITI ...











En 1865 un aventurier irlandais du nom de Steward affrêta trois navires pour recruter et ramener en Polynésie des travailleurs chinois. Il les prit aux environs de Canton. Il voulait cultiver le coton et la canne à sucre dans son vaste domaine d’Atimaono, sur Tahiti.

L’exploitation agricole, la plus grande et la plus importante que la Polynésie ait jamais connue, fit faillite. Les Chinois, à qui l’on avait cependant promis le rapatriement en fin de contrat, furent contraints de rester à Tahiti. Ils n’avaient pas grand’chose qui leur appartînt. Ils se mirent au travail. Les Chinois sont rarement paresseux. Bientôt, ils maîtrisaient le colportage, puis les “restaurants chinois” se mutiplièrent, enfin, ils dominèrent le commerce local et le commerce d’importation.

J’ai connu le temps où la famille chinoise habitait dans son magasin, faute d’avoir une maison pour se loger et le temps de faire autre chose que s’occuper de son commerce. Le soir, après l’heure où il n’y avait plus de clientèle, les femmes repassaient dans la boutique les vêtements de leurs enfants pour qu’ils aillent à l’école. Un enfant chinois, par définition, avait une chemise blanche impeccable et un short ou une jupe bleu-marine tout aussi impeccable.



Pendant que les femmes lavaient ou repassaient, les enfants, sous la conduite du père, remplissaient les sachets du riz qui serait vendu au détail le lendemain.
La mère tenait les comptes et manipulait le boulier avec dextérité. Je crois bien qu’elle seule connaissait l’état des finances du commerce. Le père faisait la manutention. La nuit venue, tout le monde mangeait sur place puis arrangeait sa couchette dans le magasin.

Travail, rigueur, le sens du commerce, un don évidentpour faire fructifier son argent, la solidarité familiale, sont les clefs de la réussite des Chinois en Polynésie. Celle-ci est passée par la main-mise, sans trop de résistance sur les monopoles de la vente du coprah, de la vanille, puis pratiquement sur toutes les importations. Plus tard ils se sont lancés dans la perliculture.

Dans un famille chinoise de Tahiti, on fait faire des études aux enfants. On en envoie un à l’université en Amérique, l’autre en France, et s’il y en a un troisième, ou une troisième, on l’envoie en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Ces mêmes pays d’ailleurs sont ceux où l’on investit, souvent dans l’immobilier. On commence , depuis quelque temps à infiltrer la classe politique et le Pays est actuellement gouverné par Gaston Tong Sang, qui appartient à la communauté chinoise et dont les parents tenaient une épicerie à Bora-Bora. Rien à dire : Ils ont travaillé dur !



Au départ de ce petit texte, je n’avais pas l’intention de raconter la saga chinoise à Tahiti, quelle que soit la sympathie que j’ai pour leur réussite. Je voulais simplement raconter une histoire, une toute petite histoire sans importance ...

Mais, peut-être, ma petite histoire, digne d’un album de Lucky Luke, fera-t-elle réfléchir les jeunes Chinois, dont on me dit que certains ont oublié le travail fourni par leur parents. On me dit qu’ils auraient tendance à dépenser et à rechercher les facilités de la vie que leurs parents leur ont faite. Qu’ils écoutent ma petite histoire !

En 1967, à Raïatea, au pied du mont Tapïeuil il était une ancienne exploitation agricole. Nous allions y cueillir des citrons verts et des goyaves. Le gardien du domaine était un vieux Chinois. Il vivait seul, pauvre comme Job, dans une pauvre case en bois posée de guingois sur quatre pilots de pierre. Il était très aimable, très affable et ne faisait de mal à personne. Que “gardait”-il, ce “gardien” ? ... Le domaine était à l’abandon.

Cela se passait à peu près à l’endroit où, plus tard, on construisit le lycée professionnel de Uturoa.




Et c’est même, peut-être, le lycée professionnel en question qui fut la cause des évènements.

Un arpenteur se montra un beau matin. Il était équipé : alidade, piquets peints en rouge à bandes blanches, décamètre ... Il avait un assistant pour déplacer les piquets. Je ne questionnai pas. J’observai le travail pendant un moment, puis je rentrai chez moi.

Quelques jours plus tard, je repassai par là ...
Réellement, je ne peux que penser aux aventures de Lucky Luke et à celles des frères Dalton !

... On avait arpenté le terrain pour délimiter une clôture. Cette clôture était matérialisée par quatre rangs de fils de fer barbelé ...

Les quatre rangs de fil de fer barbelé perçaient les planches du mur de la case du “gardien” et ressortaient de l’autre côté : La case était posée exactement sur la ligne de limite du terrain, alors, on avait traversé la maison, qui était, à partir de ce moment là, coupée en deux par la “clôture de la honte”.

Je n’ai pas entendu dire que le “gardien” chinois ait émis une plainte. Il continua d’habiter sa maison ... Et personne ne trouva rien à redire !

UNE IMAGE ...









Une image ... Fugitive, comme toutes les images !

Elle n’a pas refermé la porte. À Tahiti, on ne ferme 

pas les portes.



Elle déboule,dans un bain de lumière, toutes voiles 

dehors.


Elle envoie le spinnaker, flamboyant de couleurs. Il 

faut bien de la voilure, pour vêtir la largeur de son dos !


C’est la Mamma ! Ses hanches roulent comme les 

flancs d’une barque, par jour de fête et de petit 

vent.


Elle porte une couronne de fine fougère et un 

collier de fleurs de frangipannier.


Elle sourit ... Et c’est tout le bonheur d’un beau 

jour.


Elle enjambe un scooter, elle le coince entre ses 

deux fesses. On n’en voit plus que le guidon !


Ayant ainsi escamotée sa machine, elle part sur ses 

roulettes. Elle tournera vers la rue de la Poste et 

elle disparaîtra.


Le soleil s'est levé !

samedi 31 mai 2008

SUR LE QUAI DE PAPEETE




( CECI EST UN "PETIT" VOILIER ...)





C’est à partir de cette taille, sans doute, qu’un voilier, de nos jours, ne s’appelle plus un voilier, mais un “yacht”.

“Freedom Georgetown”

Vingt deux mètres de long, peut-être plus. Gréé en ketch. Mâts en acier. Enrouleurs automatiques pour les voiles.

Coque blanche, pont de teck verni. La proue est tournée vers le quai. Amarres de nylon bleu. Banquettes aux coussins profonds. Porte de cabine à persiennes. Rambardes à balustres. Un homme à cheveux gris. Une femme beaucoup plus jeune. Boissons glacées . Verres givrés.

Deux limousines en bas de la coupée, identiques, blanches, longues, longues ...

Cadillac, modèle Lincoln.

Trois ou quatre jeunes hommes s’affairent, se croisent, montent à bord, en redescendent.




De la première voiture ils sortent des sacs de linge venant du pressing. Dans l’autre, ils enfournent des housses à vêtements. Cuirs et monogrammes.


... Inestimable liberté !

jeudi 29 mai 2008

LES DÉBARQUEMENTS DANS LES TUAMOTU








Vous avez navigué à bord d’une goëlette qui a encore belle allure : la Tamara. Elle ressemble aux bateaux dont nous avons tous rêvé un jour ou l’autre. Deux mâts, coque en bois, cockpit verni, bateau qui navigue souvent au moteur, mais qui peut hisser des voiles et alors, là, on se croirait au temps des découvreurs !
Mais la Tamara roule et tangue terriblement, d’autant qu’un voilier qui navigue au moteur, il n’y rien de plus rouleur ! Vous n’avez guère quitté votre couchette pendant les quelques journées et les quelques nuits de navigation. Le médecin des Tuamotu, qui occupe la couchette voisine a une grande habitude : Il a suspendu au-dessus de sa couchette un régime de bananes et il cueille un fruit quand il a faim. Pour rien au monde il ne se mettrait debout. Vous avez essayé, lorsqu’on est venu vous proposer le traditionnel repas de riz et de corned beef -Vous vous êtes bien vite recouché, le coeur au bord des lèvres ... Mais comme vous n’aviez pas suspendu un régime de bananes, vous, vous avez accompli toute la traversée sans manger ... Mais qui parle de manger ?






Rien que d’y penser, la nausée m’emplit. C’est incroyable. Comment un bateau peut-il rouler ainsi ?

Moi, je me cale contre la cloison pour ne pas être précipité hors de ma couchette, et je ne bouge plus. Les yeux fermés, je vois des étoiles, des lunes et des soleils. Les yeux ouverts, je tombe dans des abîmes, je tombe, je tombe, tombe ...

Nous arrivons je ne sais plus où, peut-être à Fakarava. Une chaloupe nous embarque. Par chance, c’est un atoll qui est pourvu d’une passe, ils ne le sont pas tous. Nous avons embouqué la passe. Notre embarcation était équipée d’un puissant moteur hors-bord. Le barreur l’a emballé lorsque s’est présentée la plus grosse vague et les tourbillons nous ont saisis, précipités entre les récifs. J’étais coincé entre des sacs de pommes de terre, des caisses de bière, des cartons de vivres ... Que sais-je ? Il y avait même une moto, commandée par un insulaire. Chaque bateau qui passe apporte le ravitaillement. Nous avions aussi des sacs de farine et des sacs de ciment ! J’ai cru mille fois ma dernière heure arrivée. Le barreur a eu le temps, au passage, de me montrer au fond de l’eau, par une trentaine de mètres de fond, un tracteur rutilant qui, au jour de sa livraison, était, il y avait quelques mois, tombé d’une chaloupe.



Apparition poignante ! J’ai vu des voitures débarquer à cheval sur deux chaloupes navigant de conserve : Bel exploit qui réussit “presque” toujours !

Mais je me souviens d’un débarquement dans une île qui n’avait pas de passe.

J’étais prévenu : Mon prédecesseur dans les fonctons que j’accomplissais avait eu les deux jambes brisées, dont une d’une quadruple fracture. Il avait été roulé sur le récif lorsque l’embarcation qui le transportait avait été roulée sur le récif par une vague prenant de travers !

Était-ce à Pukarua, à Apataki, ou bien encore dans quelqu’une des Îles de la Désillusion, dont le nom est tout un programme ? Il ne m’en souvient pas.

La goëlette reste au large, puisqu’elle ne peut pas entrer dans le lagon. Elle fera des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes feront le va et vient pour décharger, puis charger. La mer est belle, heureusement. Il n’empêche, il y a du creux, tant et si bien que charger une chaloupe est un sport difficile et dangereux : Lorsque la chaloupe monte avec la vague, la goëlette descend au plus profond du creux.





J’attends que le chargement soit terminé, toujours aussi hétéroclite, puis je saute. le barreur m’attrape, je crois qu’il m’a évité de tomber à l’eau, mais les chocs m’auront laissé des bleus. Le moteur vrombit furieusement : Il était temps que l’on s’écarte de la goëlette : Cela nous a évité de nous briser contre sa coque. La chaloupe bondit.


Alors là, vraiment, l’angoisse vous saisit et ne vous lâche plus : Le moteur est mis au ralenti : Le barreur attend ... Il attend quoi ? ... En fait, il compte : une, deux trois ... Il compte les vagues ... Il compte jusqu’à six. Je ne sais pourquoi, mais la septième vague est toujours la plus forte, celle qui prend l’embarcation, qui la soulève, la porte au récif.

Mais le récif ... Vous le voyez devant vous, il forme une falaise abrupte, noirâtre, agressive, montant comme un mur, droit devant la proue, jusqu’à deux mètres de haut. On fonce dessus, de toute la vitesse donnée par le moteur et par la puissance de la vague qui vous porte. Vous allez, c’est sûr, être précipité, brisé sur ce mur, là, devant, à quelques mètres seulement ... Et puis non, la vague, la septième vague, la plus forte, soulève l’embarcation, le moteur rugit. Vous êtes sur le récif.




La vague se retire dans un éblouissement d’eclaboussures. Vite, il faut descendre, prendre pied, tirer la lourde barque jusqu’au sec. Vous avez de la chance si vous êtes bien chaussé car ... Marcher sur le récif !

Ce jour-là, j’ai eu de la chance : Un détachement de la Légion Étrangère était sur l’île, construisant une citerne afin de retenir l’eau de pluie. Les légionnaires, torses nus, de l’eau jusqu’à la ceinture, ont attrapé la chaloupe au moment où nous arrivions et ils l’ont tirée jusqu’au sable blanc.

Mais tout le monde n’a pas la chance d’être accueilli par la Légion ! Qu’en dirait l’agent chargé de porter leur paie aux fonctionnaires des atolls, lui qui tomba à la mer avant d’atteindre le récif ! Il perdit sa mallette et tout l’argent qu’elle transportait. Si le coeur vous en dit ... On doit pouvoir retrouver le nom de l’atoll dans lequel l’évènement se produisit ... Mais je vous avertis : la malette a disparu par deux mille mètres de fond ! ... Peut-être qu’en allant à la pêche aux requins dans le coin ... ?

L’agent-payeur est revenu sain et sauf. On lui a reproché de ne pas avoir bouclé la courroie qui aurait dû relier la malette à son bras.

LES BEAUX ARTS EN POLYNÉSIE











Ce pays ne s’est jamais remis de ne pas avoir, quand il en était temps, reconnu Paul Gauguin. Il est vrai que son travail ne faisait pas encore s’envoler les enchères !

Il est vrai aussi que l’on pouvait s’y tromper : Ce n’était jamais qu’un gueux, arrivé ici avec un billet gratuit de quatrième classe. Amoral, sinon immoral. De plus, c’était un véritable empêcheur de tourner en rond, qui se prenait quatidiennement de bec avec les gendarmes !

Quelques-uns savaient qu’il peignait ... Parfois sur de la toile de sac ... Des trucs colorés, pleins de chevaux verts, de sables rouges, d’arbres bleus. Dans ces paysage, il allongeait des fillettes impudiques de treize ans, vues de profil. Il sculptait aussi, parfois, ou plus souvent il gravait ... d’étranges choses, inavouables.

Il mourut quelque part aux Marquises où l’avait poussé son sale caractère. On retrouva quelques toiles. On vendit le tout aux enchères.



Tout ce qui constituait son oeuvre quitta le pays, absolument tout. On dit qu’un tableau était présenté à l’envers par le Commissaire-Priseur, mais comme personne ne comprenait ce que cela représentait, on vendit ce tableau pour un paysage de neige ... C’est dire que le tout partit pour presque rien !

La belle affaire ! En vérité, on n’y eut pas dépensé quatre sous !

Tahiti, aujourd’hui, court après l’ombre de Gauguin. Il y a le Lycée Gauguin, bien sûr, mais il y a aussi le restaurant Gauguin, la boutique “Photo-Gauguin”, la laverie Gauguin, l’avenue Gauguin ... Il y a l’effigie de Gauguin sur les timbres-poste, sur les cartes de téléphone, sur les paréos des Vahinés, les autocollants et les tee-shirts. Quoi d’autre encore ?

Il y a un Musée Gauguin ... Qui ne possède aucun Gauguin !

Et puis il y a toutes les galeries d’art ... Combien de galeries ? ... Pas une désoeuvrée, ici, qui ne se découvre des dons pour le pinceau. Pas un prof. de collège ou de lycée qui n’expose et qui vende ...



Comment dire, ma chère ? ... Je voudrais trouver le plus juste compliment ...

-”Mes compliments pour avoir ... osé, Madame ! “ Ceci dit entre deux verres et trois cacahouètes.

Quant à moi, je n’ai rien acheté ... Au risque d’avoir encore une fois, laissé passer Gauguin !