mercredi 23 avril 2008

MA CHÈRE YVETTE















... Elle roule des yeux, mon cher ! Quand elle raconte, c’est une femme qui pétille d’intelligence et d’humour. Elle raconte :

-” Je suis née à Huahiné, sous les cocotiers. J’ai pataugé dans le lagon comme tous les enfants. Tous les dimanches matin on me mettait une robe à volants et je partais vers le temple, mes chaussures à la main.

Et puis on me met en pension à Papeete. C’est une capitale. Je m’y fais.

Alors voilà : J’ai douze ans. Il paraît qu’il faut que je poursuive mes études en France. Comme je sors du collège protestant, on m’envoie à Strasbourg ... C’est où, Strasbourg ? Et puis j’ai un petit peu peur e ne rien comprendre là-bas ! Je sais très bien qu’en france, on ne parle ni le Tahitien, ni le véritable Français ...

Le véritable Français ... Tu penses ! Quand j’ai passé le Certificat d’Études à Papeete, le professeur qui lisait la dictée ... on ne comprenait rien à ce qu’il disait !





Quand j’arrivais à comprendre un mot je l’écrivais à la hâte et je laissais tout le reste en blanc, en espérant comprendre mieux à la relecture ...

Nous qui étions habitués à des intonations standard et à des prononciations bien nettes, détachant bien les syllabes ...

Les copains, dans la classe, me faisaient des signaux désespérés.

J’étais la plus dégourdie. C’est donc moi qui devais expliquer ce qui se passait ... Je lève le doigt. J’explique. Le professeur éclate de rire ... Nous avons repris la dictée avec quelqu’un qui parlait vraiment le Français, le notre !


Quand elle raconte, ses mains sont extraordinairement mobiles. Tout le visage est expressif. Les sourcils se lèvent ou bien se froncent, les narines palpitent,les yeux, les lèvres ... Une véritable conteuse professionnelle !







Alors, tu comprends ! J’avais douze ans. Me voilà dans l’avion. Bon, l’avion, ça va : On m’en a tant parlé que je ne suis as trop impressionnée. Je sais que quelqu’un va m’attendre à Paris.
mais c’est qu’il y a une escale à Los-Angelès ! Il faut descendre de l’avion, entrer dans l’aérogare, passer des contrôles ...


-” Tu regardes bien : C’est fléché. Tu suis les panneaux sur lesquels il y a marqué “Transit” ... Tu ne peux pas te tromper !

On monte dans un autobus, je fais comme les autres. J’ai une valise dans une main, un sac dans l’autre : -”Ne pas les quitter, tu risquerais de te les faire voler !”

Quelqu’un me donne un ticket ... “Transit” ... C’est bien, c’est par là ! Couloir, long, long couloir ... Sans fenêtres, éclairé par des lampes invisibles. Moquettes ... Je marche sur la pointe des pieds. Un coude à droite, à angle vif. Un autre coude. Long, long, le couloir !

Plus de panneaux ! Affolement.





Le monsieur qi est devant moi. Il parle Français. Il va donc à Paris. Je le suis. Il marche vite. J’accélère ... Pas une seconde je n’ai pensé qu’un Français pouvait descendre aux États-Unis ! Nouveau coude ... Plus de monsieur !


Je suis au pied d’une espèce d’escalier dont les marches montent toutes seules jusqu’à l’étage au-dessus. Mon monsieur est là, tout en haut. Comment faire pour monter sur ces marches qui défilent ? J’ai les deux mains occupées par les bagages. Je saute à pieds joints ... Me voilà partie !


Mais à l’arrivée ? ... A l’arrivée, je me prends les pieds dans mon sac et dans ma valise. Je culbute. J’arrive à plat-ventre. Mais j’arrive !


Et mon monsieur ?

Il est là, mon monsieur. Il passe une porte en verre, tout au bout du couloir. Je cours ...

J’arrive. Il n’y a plus de porte ! Il n’y a pas de poignée ! Il y a seulement une cloison vitrée, continue.





Pourtant, mon monsieur a passé, lui ... Je le vois à travers la vitre. Arrive une dame. La cloison de verre s’ouvre en deux, la dame passe, tout se referme.

Mon monsieur ! Je vais le perdre ! Je fonce dans la vitre. Je baisse la tête. Je protège mon visage avec mon bras, comme je peux.

Ça s’est ouvert ! Je ne sais pas comment ...


C’était en mille neuf cent cinquante sept. J’avais douze ans. J’allais à Strasbourg ...

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