mercredi 30 avril 2008

L'ATOLL












C’était hier, ou bien avant ? ... Il y a une tache claire parmi les bois vieillis, au milieu du wharf. Le père a remplacé une planche pourrie. On la repeindra un de ces jours.

Les pieds dans l’eau verte, une fillette écaille des poissons. On mangera tôt.

L’idiot est accroupi sous l’auvent. Il se balance d’avant en arrière. Il garde les yeux mi-clos. On croirait qu’il chantonne. Un filet de salive s’étire à sa lèvre. Avant, arrière ... Les doigts remuent sans cesse, plissant et déplissant le coton du pareo.

À cette heure, le lagon est un plateau d’argent. On le regarde de côté pour ne pas se brûler les yeux. La nuit viendra d’un seul coup, comme a fait le matin. Le matin, les coqs chantent, le soir les chiens aboient.
Qund la lumière est forte, on cligne des yeux. Quand elle disparaît, on allume la lampe à pression. On fait de la fumée pour chasser les moustiques. C’est de la toile de sac humide qui se consumme dans des boîtes de conserve.
Le soir, on met la radio, ou bien on joue de la guitare.




La mer monte un peu. Elle descend un peu. Le sens du courant s’inverse. Les blocs de corail émergent un peu moins, un peu plus. La plage s’étrécit un peu, ou bien s’élargit un peu.

C’est au tout petit matin que les hommes vont chercher les noix de coco sur l’îlot voisin. La mère en râpe la pulpe. Elle est à califourchon sur un trépied. Son paréo est ramené entre ses cuisses. Le déjeuner sera prêt avant ... avant que le temps ne s’arrête, que le temps ne s’étale.

On ira s’asseoir sous les bouraos. La parole est rare. Appuyées en arrière, le coude déboîté, les femmes roulent des cigarettes minces. Les hommes dorment.

Dans la maison s’empilent des coussins de couleurs chaudes. Une antique machine à coudre luit de son métal noir et de ses insciptioons dorées. Coquillags sur la table. Coquilles encore, enfilées en colliers ou dressées en corolles, montées en suspensions.

L’idiot, toujours, remue le bout des doigts. En arrière ... En avant ... Il se balance.
Sous l’arbre, les ombres sont mauves et violettes.
un filet de nylon bleu pend à ne branche.



Pas un souffle de vent.

Ne pas porter le regard sur tout ce corail blanc, ou bien fermer les yeux très vite.

La goëlette est venue, la semaine dernière. Elle reviendra. Il y a du riz dans la réserve, du boeuf en boîte et de l’huile. Il n’y a plus de bière. Elle est bue le soir même du débarquement ... pour donner de la saveur au temps ... À même le goulot.
Avant l’aube, sous les étoiles, les bouteilles vides s’en vont en farandoles, doucement, doucement, portées par les courants.

L’idiot ? - Il a toujoours été là.

La mer est une bassine à friture. Elle rissole au soleil, grésille d’argent, comme de milliers d’anchois frétillant.
La pirogue sur le sable, gros insecte, demeure immobile. Le chien dort en dessous. Une année, un cyclone a emporté les tôles.

C’est toujours le père qui, le premier, aperçoit le bateau quand il arrive. , bien avant que le haut du mât ne pointe à l’horizon. On croirait qu’il le sent, qu’il le devine.





Quand on aura porté le père au cimetière, derrière le muret blanc, ce sera son fils ... Il y a toujours un fils, de quelque façon que ce soit. C’est lui qui devient le père. Il annonce l’arrivée des bateaux.

Deux oiseaux blancs volent en formation, reliés entre eux par quel insondable mystère ? Ensemble ils montent, ensemble ils descendent puis ils tournent d’un même mouvement.

Les poissons, invisibles, s’engagent sans doute dans les labyrinthes des pièges et des parcs, sans violences. Une raie saute dans la passe, puis le monde redevient absolument lisse.

Le dimanche, on va tous à l’église : Femmes aux chapeaux tressés, blancs ... Hommes en chemises sblanches et pantalons. Le prêtre ne sera pas là ... Peut-être par un prochain bateau ?

L’ombre tourne sous l’arbre. L’idiot est toujours sous l’auvent, accroupi, et , toujours, il se balance. Il chantonne vraiment, cette fois. Sa mélopée se mêle à la voix des vagues déferlant sur le récif.

_”Mais pourquoi l’appelez-vous “l’idiot”. Chez nous, ces gens-là sont respectés comme les anges !”

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